11.26.2011

安心 Mix, par O. Lamm


Olivier Lamm est musicien (O. Lamm) et critique (musical, littéraire). Il vit à Paris. Nous aimons sa musique, lisons ses écrits avec passion et admirons l'étendue de sa culture "sonique". Après Pacôme Thiellement, écrivain, cinéaste le mois derniers (voir ici), nous sommes heureux et fiers de compter O. Lamm parmi nos invités pour une carte blanche en forme d'exploration lettrée de sa fascination actuelle pour la pop d'avant-garde japonaise Eighties. Il s'explique.

J'ai commencé par envisager cette sélection de manière thématique, traçant des lignes, des croix et des diagrammes entre des esthétiques, des âges et des territoires dont je me suis souvent retrouvé à fouiller les vide-ordures. Après plusieurs séances d'écumage, ma thématique s'est pourtant trouvée réduite à une petite part incongrue: un bon nombre de morceaux fétiches, adorés, dont je ferais mieux de réserver l'écoute à ma mie et à mes proches. Mais mes proches sont cruels - comme les vôtres, probablement. Sans déclaration d'intention ni intention de nuire, voici donc la réduction: de la musique en provenance du Japon, principalement produite pendant la première moitié des années 80. Chaque morceau est interconnecté au suivant d'une manière ou d'une autre, via des influences, de collaborations ou de studios partagés (celui de Haruomi Hosono, surtout).


Ryûichi Sakamoto, "日立Ci『伝統美』"

Le titre veut dire "beauté traditionnelle", il me semble, et c'est un morceau composé dans le cadre d'une publicité pour Hitachi. Le contraste entre les arpèges futuristes (et très européens) du début et la tendresse des accords qui les explicitent ensuite fait partie des plus beaux de cette époque, et des plus intenses de Sakamoto lui-même. (A noter que vous avez échappé à un extrait de la b.o. de Chatran - j'ai des états d'âme).


Chakra, "III"

Je suis un grand fan de tout ce qu'a fait Mishio Ogawa, que ce soit avec Wha-ha-ha, Kyohiko Senba (au sein de son big band Haniwa All Stars) ou Haruomi Hosono (au sein du groupe "shima-uta ambiant" Love, Peace & Trance). "III" est une parenthèse nocturne sur un album très diurne, belle à ne jamais s'endormir.


Testpattern, "Friday"

Testpattern était un duo électronique signé sur Yen Records, le sous-label d'Alfa dirigé par Yellow Magic Orchestra. Ils n'ont sorti qu'un seul album et participé à un split lp avec le grand Koji Ueno, d'où est extraite cette pépite co-produite par Hosono et YukihiroTakahashi. "Friday" (ou la vie sauvage?) capture enfin un fantôme après lequel j'ai couru pendant des années et des années: la tikii exotica parfaitement gracile et bienveillante de Martin Denny intégralement redessinée avec des synthétiseurs. Même les oiseaux sont faux. Dans quelques années, ce sont eux qui annonceront le retour du printemps.


Saeko Suzuki, "Baobab Hito"

J'ai découvert Saeko Suzuki il y a deux ou trois mois. Je l'écoute à peu près obsessionnellement depuis. Elle compose beaucoup pour les autres - le cinéma, la pop, la télévision - mais pendant la première moitié des années 80, elle était aussi percussionniste pour Sakamoto, idol (j'aimerais écrire diva) pour les charts Oricon et femme de Keiichi Suzuki, leader des excellents Moonriders. Elle se décrit elle-même comme une "techno-impressionniste" et je serais bien en peine de trouver une expression plus adéquate. Sur cet album enregistré en 1983 et qui s'appelle "I wish it could be Christmas Everyday", elle utilise le CMI Fairlight de Haruomi Hosono, qui fut le premier à en posséder un au Japon.


Shi-Shonen, "Bye Bye Yuppie Box"

Shi-Shonen était le groupe jumeau de Real Fish. Tout dans cet hommage aux Buggles me donne envie de pleurer, de l'étrange accent de Hiroshi Watanabe aux choeurs de l'outro, tout près de l'abîme.


Tama, "Giga"

Tama est probablement le groupe le plus bizarre à avoir atterri sur une major japonaise dans les années 90. Leur destin est inextricablement lié à ceux des Pascals et de Shoko "Jon the Dog" Uehara. Cette chanson parle du soir de Noël. Je rêve de la reprendre un jour, même si je n'ai aucune idée de ce que je pourrais bien lui amener.


Haniwa Chan, "Minato"

Haniwa Chan est la version de poche du Haniwa All-Stars de Kyohiko Senba. Je crois que les points de bascule entre les couplets très tendres (où la chanteuse Reichi évoque Akiko Yano sans la singer, c'est une aubaine) et les refrains tout en échantillons idiots parlent d'eux-mêmes. Cette pop scénarisée comme une aventure, un peu démente mais très humaine est vénérée par quelques gens très bien, dont Chris Cutler ou moi.


Chakra, "Itohoni"

Voici la grande aventure de "Satekoso", le deuxième album de Chakra produit par Haruomi Hosono et Hideki Matsutake de Logic System. Il s'y passe beaucoup de choses merveilleuses, dont un bon nombre a un rapport avec Okinawa.

Saeko Suzuki, "Adventures in South Pacific"

Je ne sais pas trop si l'émotion si intense que dégage ce morceau (qui clôt le très beau "Studio Romantic", son "Smile" et son chef d'oeuvre produit par Andy Partridge de XTC, si, si ) coule de ses arrangements (l'unisson piano/voix qui se ballade dans la stéréo, le marimba adorable qui couvre l'arrière-plan comme une pluie équatoriale) ou de sa montée harmonique (ailleurs, un cancer pop). C'est un morceau précieux, à préserver, à ne pas écouter trop souvent.

Beautiful Hummingbird, "Edwelweiss"

Connaissez-vous Mitsuko Koike? Sur cette reprise du classique de Rogers & Hammerstein, adaptée par Tatsuki Hashimoto et Hosono avec un DX-7 et trois cuivres , elle fait quelque chose que je n'ai jamais entendu ailleurs.


Tachiko Hatôyama, "Shima Yakara"

Je ne sais rien sur cette sirène d'Okinawa, découverte sur la magnifique compilation "Ryukyu Rare Groove - Shimauta Pops in 60's-70's", mais je l'écoute presque tous les jours.


Dark Ducks, "Dandy Dandy"

Je crois que les Japonais exsudent l'une des nostalgies les plus contagieuses du monde. Je n'ai bien sûr jamais entendu les Dark Ducks dans mon enfance, parce que je suis né en France, parce que j'ai 32 ans, parce que leur technique de vibrato est effrayante. Cette chanson a été écrite par Haruomi Hosono dans le cadre d'un come-back du groupe vocal à la fin des années 80, sûrement marketé par une marque de bière.